"Si le Maroc disposait de ressources humaines mieux qualifiées dans la Relation client, ce secteur génèrerait plus de 10.000 emplois par an, le double de ce qu’il crée actuellement. Un constat que regrette Youssef Chraïbi, président du groupe Outsourcia et président de la fédération marocaine de l’outsourcing. Dans cet entretien, il revient pour le Matin sur l’état de santé de l’activité, ses principaux défis et les priorités que la nouvelle stratégie du secteur doit prendre en compte."
Le Matin : Le Plan d’accélération industrielle arrivera à terme en 2020. L’offshoring s’est fixé, dans le cadre de ce plan, des objectifs ambitieux : création de 60.000 emplois, 18 milliards de DH de chiffre d’affaires additionnels à l’export et 1,5 milliard de DH d’investissement. Ces objectifs seront-ils atteints ?
Youssef Chraïbi : Ces objectifs sont très ambitieux, mais ils ne seront que partiellement atteints, et ce, malgré un rythme de croissance très fort. En effet, le chiffre d’affaires à l’export a été de 10 milliards de dirhams en 2018. Je pense que nous ne pourrons pas dépasser les 15 milliards en 2020, ce qui reste un chiffre très honorable et qui nous place dans le top 5 des secteurs industriels les plus générateurs de revenus en devises. Au niveau de la création d’emploi, les créations brutes sont supérieures à l’objectif, mais compte tenu du très fort turnover spécifique à notre métier, il convient d’observer la création nette d’emploi. Celle-ci reste inférieure à 5.000 postes par an, un rythme donc très satisfaisant, plaçant le Maroc parmi les destinations les plus dynamiques en termes de création d’emploi par rapport aux autres pays intervenant sur ce marché. À titre d’exemple, le marché français de la Relation client emploie 100.000 personnes en France et environ autant en offshore d’après la dernière étude d’EY, le Maroc à lui seul captant plus de 50% de cette activité offshore.
Quels sont les principaux défis et contraintes du secteur de la Relation client, notamment en ce qui concerne le volet ressources humaines et l’employabilité ? Nous sommes confrontés à une pénurie de ressources qualifiées, en particulier dans les métiers de la vente et de l’IT. Nous pourrions avoir un rythme de croissance 2 fois supérieur, si nous pouvions honorer à temps les demandes de nos donneurs d’ordre. Je peux dire que le principal défi du secteur de la Relation client se situe au niveau des ressources humaines.
Peut-on parler d’une concurrence directe des pays d’Afrique subsaharienne ? D’ailleurs, vous recrutez de plus en plus de profils issus de ces pays, réputés pour leurs soft skills et la maîtrise du français.
Il ne s’agit pas d’une concurrence directe étant donné que nous allons vers un partage de la chaîne de valeur en fonction de la spécificité de chacun des bassins d’emploi. Ainsi, le Maroc est et restera la destination francophone la plus qualitative, continuant à capter la part de marché la plus importante, bien que moins compétitive en termes de coût. Il est vrai néanmoins que l’Afrique subsaharienne dispose d’un positionnement également très intéressant au niveau de nos métiers, ce qui constitue, à mon avis, une parfaite complémentarité avec notre pays. Concernant les ressources humaines, il est vrai que nous employons au Maroc de plus en plus de collaborateurs d’Afrique subsaharienne. Dans la Relation client, ils atteignent actuellement 10% de l’effectif global. Toutefois, certaines entreprises initialement installées au Maroc ont également directement investi dans ces pays-là en allant chercher ces bassins de l’emploi francophones qualifiés et économiquement attractifs.
La part de la voix a baissé ces dernières années dans les revenus des centres d’appel. Est-ce que les opérateurs marocains se sont adaptés à ce changement notamment en formant de nouvelles compétences ?
Effectivement, ce qu’on appelle le BPO non-voix a beaucoup progressé ces dernières années. Les métiers de back-office constituent de très forts relais de croissance permettant d’insérer durablement notre pays dans les métiers à forte valeur ajoutée et dans l’économie du savoir de façon générale. Ainsi, les donneurs d’ordre nous confient de plus en plus la gestion de leurs interactions écrites avec leurs clients (email, chat, réseaux sociaux…), qui représentent aujourd’hui plus de 30% des canaux de contacts. Ils nous sollicitent également pour d’autres missions nécessitant des compétences en développement informatique par exemple.
Vous avez lancé la réflexion sur l’après-2020. Quelles sont vos recommandations pour la prochaine stratégie du secteur ?
Je tiens tout d’abord à rappeler que jadis nos clients recherchaient initialement et avant tout des coûts plus attractifs. Aujourd’hui, ils ont progressivement pris conscience de la valorisation de l’expérience client, une valorisation qui leur permet une meilleure fidélisation de leur clientèle et une croissance de leurs revenus. Ce qu’ils recherchent donc ce sont des acteurs qui peuvent leur apporter une véritable expertise dans l’optimisation de cette expérience client. Cette expertise passe avant tout par l’expérience de son capital humain. Nous sommes donc contraints d’aller vers cette montée en gamme de notre positionnement alliant qualité de nos ressources humaines et investissement dans les technologies d’automatisation et d’assistants virtuels que nous devrons mettre en œuvre et superviser pour nos clients.